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L’alimentation carnée

dimanche 7 septembre 2008

Auteur : Sylvain Foucras

« Leur nourriture consiste en un peu de pain et beaucoup de viande bouillie ou rôtie sur des charbons de bois ou des broches. Ils mangent proprement mais avec un appétit de lion, soulevant de leurs deux mains des membres entiers dans lesquels ils mordent […] » (Posidonios d’Apamée, d’après Athénée IV, 36).

Crâne de porc fendu en long
rejeté dans une structure détritique de Gergovie
Concentration d’ossements
issus de la consommation dans le sanctuaire de Corent

Au regard du nombre considérable d’ossements animaux prélevés au sein des habitats arvernes, on peut effectivement donner raison au témoignage de Posidonios d’Apamée : la viande paraît bien constituer le plat central de l’alimentation des Gaulois. Ce sont les structures détritiques où ont été amassées les poubelles de repas qui nous livrent la majorité de ces vestiges alimentaires.

Ossements souvent mal préservés, fragmentés, ce mobilier constitue pourtant une source de données indispensable à la compréhension des habitudes alimentaires de l’âge du Fer.


LES ESPÈCES ANIMALES CONSOMMÉES

Rachis de mouton
ayant pu constituer une piece de viande dans une cave de Gondole

choix des espèces consommées varie selon les modes de vie : ferme isolée, habitats groupés ou oppidum, dans la plaine ou sur les reliefs, la part des animaux change. La maîtrise des techniques agricoles et particulièrement de l’élevage abolit les activités de chasse à des fins alimentaires et les espèces sauvages n’apparaissent plus dans les assiettes qu’à titre exceptionnel. Le gibier n’est généralement présent qu’à travers quelques vestiges sur les habitats et rien n’indique, le plus souvent, qu’il s’agit de viandes consommées.

Scapula (omoplate) de boeuf
perforée par un croc de boucher lors de sa suspension

Les activités de chasse devenant l’apanage des élites guerrières, la faune sauvage apparaît plus fréquemment sur les habitats au statut plus élevé. Ainsi, les quelques restes d’animaux sauvages que livre l’établissement agricole du Pâtural voient les cervidés dominer l’échantillon. Sur les exploitations voisines, au statut plus modeste,la faune sauvage est anecdotique. Exit donc l’image du Gaulois chasseur et avec elle le sanglier rôti, animal par ailleurs absent des habitats arvernes. Ce sont donc les espèces domestiques qui prévalent à la table des Gaulois en général, et des Arvernes en particulier, et principalement les trois espèces domestiques que sont le porc, le mouton et le bœuf. Porcins, ovins et bovins sont présents dans la totalité des dépotoirs arvernes mais en quantités variables.

L’habitat groupé d’Aulnat, qui pourrait s’apparenter à une agglomération,voit le porc favorisé alors que plus loin en Limagne les fermes privilégient davantage le bœuf, peut-être plus facile à élever sur une zone à tendance marécageuse peu favorable à l’élevage ovin.

Ossements d’ animaux
découverts dans le fond d’un pot à cuire

C’est le cas au Pâtural comme sur la ferme voisine au lieu-dit Rochefort. En y regardant de plus près, il ne s’agirait que d’une partie du cheptel, abattu jeune pour une viande plus tendre, alors qu’une autre partie atteignait un âge plus avancé, caractéristique des bêtes de somme. Bien que rarement l’espèce la mieux représentée sur les habitats, les moutons apparaissent comme étant la seconde espèce consommée. L’âge de mise à mort souvent avancé nous indique que cet animal était davantage élevé pour ses apports en laine ou en lait, par exemple,donc de son vivant, que pour sa chair, qui ne constitue plus qu’un complément alimentaire. D’autres animaux comme le cheval et le chien sont à mentionner comme faisant partie du menu, mais de manière plus anecdotique. C’est aussi le cas de la volaille, dont la fragilité des restes explique sans doute la faible représentation de la basse-cour sur les habitats, ainsi que des poissons, très rares parmi les vestiges animaux et dont la consommation ne semble pas avoir été particulièrement développée chez les Arvernes jusqu’à l’époque romaine.

Dans la sphère funéraire, la coexistence de pratiques mettant en jeu l’inhumation ou l’incinération ne semble pas avoir d’effet sur le choix des dépôts alimentaires carnés, et c’est le porc qui est favorisé. Les exemples, bien qu’assez peu nombreux en Auvergne,semblent conformes aux pratiques constatées chez les peuples voisins : un jambon dans une sépulture de Gandaillat a été déposé sur les genoux du défunt ; des quartiers de viande dans le cénotaphe de Chaniat-Malintrat,disposés de sorte à « reconstituer » l’animal, ou encore des vestiges carbonisés, mêlés à ceux des individus incinérés de Pulvérières. La richesse du mobilier découvert dans ces sépultures témoigne généralement d’un statut élevé des défunts : pièces d’armement, parures ; les dépôts alimentaires semblent le plus souvent faire partie d’un ensemble d’éléments réservés à une certaine frange de la population dont les attributs guerriers sont manifestes dans la plupart des cas.

Côtes de porc
dans une assiète du cénotaphe de Malintrat

Les autres espèces animales généralement présentes sont les mêmes que dans la cellule domestique. Parfois, des dépôts témoignent de rituels pratiqués, comme cette chèvre complète à Gandaillat qui semble avoir été égorgée et possiblement éventrée (étudeV.Forest), mais cela reste très exceptionnel. Les activités religieuses font également l’objet de pratiques de consommation. On le voit sur le sanctuaire de Corent, où elles donnent lieu à de grands banquets qui mettent en jeu des quantités considérables de nourriture, si l’on s’en réfère aux dizaines de milliers de vestiges animaux présents. Mis à part des pratiques précises qui semblent relever directement du rituel proprement dit, les espèces animales consommées sont les mêmes que celles des repas profanes. Le porc est là encore majoritaire, suivi des caprinés et du bœuf. Aux abords directs de ce sanctuaire, la zone d’habitat de l’oppidum livre très majoritairement des ossements bovins,rejetés pour l’essentiel des activités de boucherie ; le bœuf qui prédomine sur l’ensemble des oppida du bassin clermontois mais aussi dans l’Allier, à Cusset ou Hérisson, semble alors l’animal privilégié sur les oppida.

TRACES DE CONSOMMATION

Ossements dispersés sur un niveau de sol
oppidum de Corent

Il n’est pas évident de mettre en lumière des activités de consommation. C’est souvent la présence d’ossements issus des parties du squelette les mieux pourvues en viande,comme les membres, l’échine ou la poitrine, qui suggère la présence de pièces bouchères.

L’étude des traces laissées sur les ossements nous montre les coups portés par les couteaux ou hachoirs des bouchers : os désarticulés,fendus ou découpés, les impacts laissent entrevoir des techniques précises mises en œuvre tout au long de l’âge du Fer qui n’évolueront qu’à la période romaine. Du consommateur on ne décèle que de fines traces parfois incisées sur la surface de l’os,qui laissent entrevoir l’utilisation de petits couteaux.Demeurent les traces de la cuisson des viandes. Les stigmates d’un passage à la flamme se généralisent mais la part des viandes bouillies, voire mangées crues, reste difficile à déterminer, et ce sont les questions du mode de préparation culinaire ou encore de conservation des aliments qui restent posées.

Etudes de :J. Richardson, ARAFA (Le Pâtural) ; V. Forest (Gandaillat) ;P. Caillat (Gandaillat et Pulvérières) ;I. Rodet Belarbi (Gerzat)

Article publié dans "L’Archéologue Archéologie Nouvelle n° 95
avril - mai 2008" qui nous a aimablement autorisé à le reproduire.