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Les paysages au cœur du territoire arverne

lundi 8 septembre 2008

Auteurs : Christelle Ballut, Manon Cabanis

La Limagne clermontoise est le cœur du territoire arverne. La fertilité des sols, la clémence du climat, la voie de circulation naturelle qu’est la vallée de l’Allier et le contact avec les hauts plateaux du Massif central expliquent en grande partie son attractivité. Déjà à l’âge du Fer, sa prospérité repose en partie sur sa richesse agricole.

Au prer plan la plaine humide, puis Clermont
en arrière plan le plateau des Dômes

Cependant, dès le milieu du second âge du Fer (IIIe-IIe siècles av. J.-C.), l’intensité de l’exploitation des sols a des conséquences sur l’environnement dans cette région sensible aux actions humaines sur les paysages et aux oscillations climatiques.

L’ATTRACTIVITÉ DE LA LIMAGNE

C’est dans ce bassin marno-calcaire bordé de hauts plateaux cristallins et volcaniques que les Arvernes ont établi leurs capitales. Il constitue un secteur très attractif à plusieurs égards. La Limagne est couverte de sols bruns à noirs, argilo-limoneux à limono-argileux,riches en éléments minéraux, de meilleure qualité que ceux développés sur les plateaux bordiers.

Blé nu ou froment
(Triticum aestivum sp.)

Abrité des influences océaniques par l’orientation méridienne des reliefs occidentaux, ce secteur possède aussi un climat à tendance semi-continentale relativement clément, moins humide et plus doux que celui des massifs environnants. Enfin, la Limagne est parcourue par la vallée de l’Allier qui pénètre le Massif central selon une direction globalement méridienne et qui constitue un axe de communication majeur en assurant un passage entre la France méridionale et la France centrale. Les vallées des affluents de la rivière assurent également à l’échelle régionale le lien entre les hauts plateaux et le bassin intra montagnard. En son sein,la Limagne clermontoise associe deux types de terroirs : la Limagne des Buttes et celle des marais.

Orge vêtue
(Hordeum vulgare)

Le “ Pays des Buttes ” est formé de reliefs isolés de taille variable, dont les altitudes dépassent fréquemment 500 mètres. Les plus hauts de ces reliefs correspondent à des buttes volcaniques à l’allure tabulaire et aux pentes raides (pouvant atteindre plus de 20%). Ils ont souvent été choisis pour l’établissement des oppida arvernes (Corent, Gergovie). A l’inverse, la Limagne des marais se caractérise par l’absence de reliefs marqués et par des pentes très faibles, souvent inférieures à 0,1%. La fertilité des sols, appelés« terres noires », est ici encore plus grande.A noter que les terres de Limagne sont déjà louées pour leur richesse dans les écrits de la fin de l’Antiquité (Sidoine Apollinaire, Grégoirede Tours).

LE PAYSAGE AGRICOLE AU SECOND ÂGE DU FER

D’après les études polliniques (Gachon,1963 ; Prat, 2006), les bois en Limagne sont déjà très minoritaires au second âge du Fer. Les surfaces en herbe sont plus étendues dans les fonds de vallée et dans les marais. Les surfaces cultivées s’étendent sur les pentes des collines et buttes de la région et progressent dans la plaine humide grâce à la mise en place de systèmes de drainage.

Observation de sédiments sous microscope
(sables, bois et fibres végétales)

Les études de restes de graines et de fruits (études carpologiques),qui se systématisent dans le cadre de l’archéologie préventive INRAP depuis quelques années, autorisent aujourd’hui une ébauche de ces agro-systèmes. Les 12 études carpologiques réalisées à ce jour (Cabanis,thèse en cours de rédaction) sur les opérations INRAP nous dévoilent des champs d’orge vêtue (Hordeumvulgare),de blés vê-tus type amidonnier (Triticum dicoccum) et d’engrain (Triticum monococcum). Ces espèces dominent le paysage gaulois de plaine comme dans le reste de laGaule (Matterne et al. comm. orale AFEAF 2007). Les cultures de froment ou blé nu (Triticum aestivum durum), d’épeautre (Triticum spelta) et d’avoine (Avena sp.) sont également visibles. Mais la Limagne présente aussi des particularités, comme l’abondance et la diversité des millets cultivés dans le secteur de l’ancien lac de Sarliève. Les légumineuses, cultivées le plus souvent en alternance avec les céréales, sont majoritairement la lentille (Lens culinaris) et la vesce (Vicia sativa). Le pois (Pisum sativum),la fève (Vicia faba) et l’ers (Vicia ervilia) ne sont présents qu’en faible quantité. Sur le site de Cournon-Les plaines, nous remarquons l’abondance significative de restes de gaude (Reseda luteola),plante de la famille des Résédacées (Resedaceae), riche en lutéoline, dont on obtient une teinture jaune.

Millet des oiseaux
(Setaria italica)

Parmi les plantes potentiellement cultivées, cueillies ou récoltées dans un but artisanal ou médicinal, citons l’existence de graines de verveine officinale (Verbena officinalis), de noisettes (Corylus avellana), de pépins de pomme/poire(Malus/Pyrus),de sureau hièble (Sambucus ebulus) et de noyaux de prunellier (Prunussp.).Cet ensemble de sites gaulois comporte à des pourcentages divers des plantes rudérales,de friches et décombres et nitrophiles,favorables à l’enrichissement azoté du sol,probablement par des fumures. Les sites de Gandaillat II et de Sarliève-La Grande Halle sont les plus riches en nombre d’espèces et en abondance.

UNE RÉGION SENSIBLE AUX MODIFICATIONS ENVIRONNEMENTALES

Depuis le Néolithique, la mise en valeur agricole de la plaine a déjà causé localement, à proximité des sites archéologiques, des accélérations de l’érosion des sols. Les volumes mobilisés et les processus sont cependant discrets et n’influent que très peu sur l’évolution environnementale.

Reconstitution 3D
paysage du bassin versant de Montchâtre sur le plateau des Dômes à la fin de l’âge du Fer.

L’occupation des zones humides est restée marginale, peut-être momentanée ou saisonnière. Seules les bordures de marais ont été prisées et intégrées aux territoires, car les milieux humides attirent pour leurs ressources (coupe de végétaux, chasse, pêche). Depuis le milieu du second âge du Fer (IIIe-IIe siècles av. J.-C.), la pression anthropique sur les sols s’accroît en lien avec des densités de population plus importantes, l’extension des défrichements et peut-être une progression de la céréaliculture aux dépens des herbages. L’érosion des sols concerne alors presque tous les versants et se réalise sous l’effet de processus plus agressifs (ruissellement concentré). Depuis la même époque, sous la pression d’un peuplement croissant, les Gaulois intègrent aussi les marais aux territoires agricoles grâce à la mise en place de systèmes de drainage.

Ainsi, les Arvernes se libèrent des contraintes associées à ce milieu pour y installer l’habitat et y étendre le système agropastoral. Cette occupation des marais dure au moins jusqu’à la fin de l’époque romaine, à la faveur également d’une oscillation sèche du climat et du colmatage par colluvionnement des bordures des bassins humides. Mais, à la fin de l’Antiquité, les systèmes hydrologiques commencent à souffrir de l’accélération de l’érosion remarquée depuis la fin de l’âge du Fer. Lors de périodes de précipitations prolongées ou lors d’orages importants, les quantités de matière qui arrivent dans le lit des cours d’eau modifient leur comportement : les crues deviennent de plus en plus fréquentes et dévastatrices, en noyant les vallées de Limagne et en particulier les terres de marais. Les nombreuses tentatives de drainage historiques n’arriveront pas à évincer durablement l’excès d’eau jusqu’aux années 1960.

Oppidum de Gondole à la confluence de l’Allier et l’Auzon

Article publié dans "L’Archéologue Archéologie Nouvelle n° 95
avril - mai 2008" qui nous a aimablement autorisé à le reproduire.